La muselière est un outil que j’utilise très rarement en rééducation, tout simplement parce que dans l’immense majorité des cas, l’agressivité du chien est générée par de la peur, et priver un animal de son meilleur moyen de défense tout en ui demandant d’affonter ses peurs est contre-productif. C’est un peu comme si on m’attachait les mains dans le dos avant de me précipiter dans une pièce grouillant d’araignées!
Cependant, la muselière peut permettre de passer un cap, tout en protégeant les humains ou les chiens en face. C’est ce que nous allons voir avec le cas de Myway.
Myway est une chienne berger Allemand de 5 ans. Sa propriétaire vient me voir parce qu’elle ne tolère absolument aucun chien. Le situation n’est pas nouvelle, mais lui pose problème aujourd’hui parce qu’elle rend impossible l’installation avec son copain, ayant lui-même un chien.
Myway est hypersociable avec les humains, elle a toujours été considérée comme le gros bébé de la famille, et a absolument tous les droits. Elle fait ce qu’elle veut, quand elle veut ! Elle démonte les portes si l’on ose en fermer une, est archi envahissante dans son quotidien , dort dans le lit entre ses maîtres, monte sur les genoux dès que quelqu’un est sur le canapé, dévore de léchage le visage, les cheveux de la maman, réclame une attention constante, ne supporte pas la solitude et a bien évidemment un énorme hyper attachement à sa propriétaire. Les balades se font en milieu déserts et ouverts, afin d’être certain de ne croiser aucun chien.
Le premier travail consiste donc à rétablir une relation plus stable et plus sereine dans le foyer, à apprendre à la chienne à gérer sa frustration, et à faire accepter un détachement aux deux parties du binôme.
Les progrès sont rapides, motivants et déculpabilisants pour l’humaine. Myway s’apaise.
Commence alors le long cheminement d’acceptation des congénères. Il n’est pas question de brusquer qui que se soit, on respecte la distance de sécurité de la chienne, que l’on diminue petit à petit. Elle arrive à ne plus bloquer sur ses congénères, à se reconcentrer sur son humaine, à une distance raisonnable.
Vient le moment où elle va devoir entrer en contact. Pour moi, il est impensable qu’elle soit privée de sa liberté, elle doit avoir la possibilité de s’écarter ou de fuir plutôt que de s’approcher de l’autre chien. La laisse n’est donc pas envisageable. Mais Myway n’a plus aucun code canin, elle ne cherche jamais à prendre les informations olfactives à distance, pas plus qu’elle n’envoie le moindre signal. Au contraire, à quelques mètres, elle se fige et son regard se durcit, il est évident qu’une fois libérée, elle va foncer tête baissée.
Le premier chien à jouer les cobayes est Thor. Très gros mâle, il est extrèmement tolérant avec toutes les femelles, et aime les jeux et les contacts brutaux. Il ne s’affole ni ne s’énerve de la susceptibilité féminine. Pour autant, on ne va pas risquer une blessure. Le premier contact se fait donc avec la chienne muselée, afin qu’elle ne puisse pas ouvrir sa gueule sans réfléchir. Sans surprise, elle lui fonce dessus agressivement, il réceptionne l’impact, l’invite à jouer. Surprise, la chienne se laisse renifler, baisse son niveau de stress, et c’est terminé, on peut lui enlever la muselière et partir se promener.
Je n’avais pas ma photographe ce jour là, donc pas d’image, mais Mathilde était présente pour la séance suivante, avec Pablo.
Après un patient travail en longe et à distance, vient le moment du lâcher. Comme avec Thor, Myway se précipite sur le Rodhésian, qui comprend parfaitement le danger et cherche à s’écarter.
La chienne n’essaye pas d’avoir la moindre communication, elle cherche l’angle d’attaque à l’arrière.
Sans la muselière, elle plantait ses crocs dans la cuisse de Pablo…
La chienne utilise cette technique pour se débarasser de ce qui lui fait peur. A chaque fois qu’elle a menacé d’attaquer, on l’a toujours éloignée du chien, et donc, bien involontairement, renforcée dans son attitude. Là, elle se retrouve face à Pablo, qui, n’ayant pas eu mal, n’a pas fui. On voit clairement qu’elle est pétrifiée de peur et complètement démunie. Mais Pablo est très doux, et tranquillement, il va faire connaissance. On les laisse bouger à leur guise, Myway se détend, j’enlève la muselière.
Myway va évacuer son stress en faisant ce qu’elle connaît, jouer au bâton avec sa bipède ! Même si c’est un comportement lié à son hyper attachement, pour le moment, on la laisse faire, elle l’a largement mérité !
Arrive le moment de la rencontre avec le chien du copain. C’est un brave toutou plutôt indépendant, qui se méfie de Myway mais sans peur excessive.
Une fois la longe lachée, Myway fonce, mais, à l’inverse des autres rencontres, ne cherche pas à mordre. Ele se contente de mettre une grosse pression, en le suivant en permanence, le bousculant un peu pour boire dans la flaque , sentir une odeur… avant lui. La muselière est enlevée.
La balade se fait assez paisiblement, Myway est pour une fois, plus occupée par son congénère que par un lancé de bâton permanent.
Le plus délicat reste la gestion de l’espace autour de SA propriétaire. Myway ne supporte pas qu’elle puisse s’interesser à un autre chien qu’elle, et l’agression est immédiate.
On va donc y aller progressivement, comme toujours, en lui demandant déjà, dans un premier temps, d’accepter au moins sa présence, sans interaction humaine.
La rééducation est loin d’être terminée, et la muselière continura d’être utilisée, tant de Myway ne proposera pas une nouvelle approche, mais je ne doute pas d’une évolution rapide. Il ne s’agit pas d’une grosse agressivité, simplement d’une incompréhension et d’une absence de communication, mais la chienne est curieuse, et cherche à s’adapter, elle devrait vite apprendre !
Vous l’aurez compris, la muselière est juste là par sécurité, pour l’autre chien, et pour permettre de franchir une étape.
En aucun cas elle ne doit être utilisée, comme on le voit chez certains abrutis, pour empêcher toute défense à un pauvre chien terrorisé, pendant que le chien « régulateur » (avec 3000 guillements, hein) du pseudo éduc, lui fait subir une attaque en règle.
Comme n’importe quel outil, elle doit permettre d’évoluer en sécurité et en confiance, pour petit à petit, permettre un nouveau comportement.