Jérôme porte sa petite quarantaine avec aisance, grand, bien conservé par des heures passées en salle de sport, il est plutôt du style à en imposer. Et pourtant … Pourtant cette grande masse se décompose à la vue d'un chihuahua, change de trottoir à chaque fois qu'il voit arriver un promeneur avec son chien en face de lui, ne fait pas de footing dans les champs par peur des gardiens de ferme en liberté. Il est la risée de sa bande de potes parce que la première question qu'il pose quand il arrive chez quelqu'un est " tu as un chien ?" Et si la réponse est oui, il passe la soirée sans bouger de sa chaise de peur d'attirer l'attention du fauve...

Bien sûr qu'il comprend le ridicule de la situation, qu'il a conscience qu'il ne risque pas grand chose face au bichon de la voisine, et que tous les chiens qu'il croise ne vont pas lui sauter à la gorge, mais il ne peux rien faire contre cette peur panique qui l'envahit à chaque fois, et qui lui pourrit la vie.
Jérôme n'est pas un cas isolé, la cynophobie ( phobie des chiens) est extrêmement répandue. Comme toutes les phobies, il s'agit d'une peur irraisonnée, il ne suffit donc pas de se dire que c'est stupide et qu'il faut prendre sur soit pour régler le problème ! Allez dire à quelqu'un pétrifié d'angoisse devant une araignée de la taille d'un ongle de bébé "les petites bêtes ne mangent pas les grosses !", vous risquez juste de déclencher une crise d'hystérie !
Beaucoup vont s’accommoder de cette phobie, plus ou moins bien, jusqu'à ce qu'un changement dans leur vie la rende insupportable. Un nouveau conjoint inséparable de son chien, ou l'arrivée d'un enfant, va rendre vraiment délicat cet état de stress permanent. La naissance d'un bébé est d'autant plus problématique qu'elle renforce la peur avec l'instinct de protection naturel à son égard ! Et pourtant c'est souvent là que les parents réagissent, ayant conscience qu'en transmettant leur crainte à leurs enfants, ils leur font un cadeau empoisonné et surtout ils les mettent potentiellement en danger !

Mais que peut-on faire pour lutter ?
Identifier l'origine
Souvent la phobie provient du souvenir d'un événement traumatisant. La personne s'est fait mordre, a assisté à une scène d'attaque ou de bagarre violente entre chiens, ou s'est fait courser. Il n'y a pas forcément eu de blessures, mais le choc psychologique que cela a induit s'est profondément ancré dans la mémoire et le cerveau envoie un code rouge à la simple vu d'un chien. Lorsque l'on sait ce qui s'est passé, on peut essayer de décortiquer l'action, d'expliquer ce qui a motivé le comportement agressif de l'animal, et ainsi, en re-situant le contexte, montrer qu'il n'y a pas d'attaque sans raison. Cela ne sera pas miraculeux, mais permettra au moins d'ébrécher le fantasme du chien fou et avide de sang !
Il arrive aussi que la phobie ne trouve aucune origine connue. On ignore quel a été déclencheur, d'aussi loin qu'on se souvienne la peur était là, souvent transmise par les parents. Dans ces cas là, on passe directement à la connaissance du chien.
Connaître pour mieux comprendre, comprendre pour appréhender
On a peur de ce qu'on ignore. Connaître son "ennemi" permet déjà d'éviter un comportement complètement inapproprié ! Courir, s'agiter, fixer le chien dans les yeux, bien sûr qu'on a déjà entendu qu'il ne faut pas le faire, mais encore faut-il savoir pourquoi !
Comme on est persuadé que le chien va nous attaquer, on ne le quitte pas du regard, épiant ses moindres mouvements. De plus, le corps se raidit par le stress, se fige. Complètement involontairement, on adopte la position d'un chien extrêmement menaçant pour son congénère ! Ce qui explique en partie pourquoi ce sont si souvent les personnes qui ont peur qui se font mordre ! Voilà pourquoi il est fondamental de connaître les bases de la communication canine, et notamment les fameux signaux d'apaisement (voir article: Les signaux d'apaisement, c'est quoi ?).

Apprendre à comprendre le chien, son fonctionnement, ses codes permet de l'appréhender plus sereinement. Quand on comprend que le chien n'a pas la moindre envie de s'approcher, voire qu'il a aussi peur que vous, qu'il vous envoie des messages auxquels il est simple de répondre pour le voir s'éloigner, on devient un peu plus acteur de la situation. Et quand on se rend compte que ça marche, on prend confiance en soi et tout doucement on apprend à canaliser sa peur, puis à la maîtriser, avant de la voir disparaître ! Bien entendu ce n'est pas immédiat, mais les progrès se font vite sentir !
Comment traiter ?
Souvent des amis pleins de bonnes intentions invitent à caresser un chien en disant "mais si vas-y il est très gentil !" Cela ne sert à rien ! Il est aussi aberrant de forcer une personne qui a peur à caresser un chien, que de forcer un chien peureux à se faire caresser ! Et même si la personne arrive à se familiariser avec ce chien en particulier, qu'en sera-t-il avec tous les autres ?
Mêm'pas peur
Je réalise généralement la (ou les) première séance ...Sans chien ! La première approche se fait avec des photos, une peluche ou tout autre support, mais en complète sécurité pour la personne. Il est impossible d'obtenir une écoute et une réelle concentration de quelqu'un, si on lui met l'objet de sa phobie sous les yeux ! Si je reprends l'exemple de l'araignée, essayez de parler à quelqu'un qui a les yeux rivés sur la bestiole, et vous verrez qu'elle est incapable de vous écouter ! Son cerveau est tout entier concentré sur le moindre mouvement d'une de ses (trop) nombreuses pattes !
C'est une relation qui doit être basée sur de la confiance. Tant que la personne n'est pas assez sure d'elle, elle doit pouvoir s'en remettre sereinement à un référent dont elle sait qu'il ne la mettra jamais en danger !
Et c'est encore plus vrai avec des enfants ! Il ne faut pas laisser la peur s'installer chez un bout de chou. D'abord parce que c'est compliqué de se construire en trimbalant ce genre d'angoisse, mais surtout parce que leur petite taille en font des proies faciles, avec un risque de blessures bien plus graves que chez l'adulte. Il existe toutes sortes de jeux, de mises en situation pour leur apprendre à adopter les bons comportements et une fois encore, à être acteur de leur sécurité, tout en apprenant à respecter l'animal ! Ces " préventions morsures" existent parfois dans les écoles, elles devraient même y être obligatoires, au même titre que la prévention routière !

Des solutions existent donc à tout âge pour vaincre cette phobie, et permettre à Jérôme ( et à tous les autres) de vivre sereinement dans une société où le chien est partout présent, et pourquoi pas, un jour, de vivre une jolie histoire avec un compagnon à quatre pattes !