En lisant une interview de l'éthologue Pierre Jouventin, je suis restée perplexe face à sa réponse à la question « quel est l'intérêt de ce partenariat ( avec l'homme) pour le loup ? ». Il a répondu « Il n'y en a aucun, il s'est fait avoir » ! l'article portait entre autre sur les origines de la domestication mais m'a donné à réfléchir sur la place du chien dans notre société actuelle.
Le chien est devenu aujourd'hui bien plus que le simple outil d'aide à la chasse. Bien sûr il a encore souvent une finalité de travail (troupeau, recherche) mais même dans ce cas, une relation de complicité forte s'est nouée avec son maître. Ce n'est plus un outil mais un partenaire doué de sensibilité. Et c'est cette capacité d'émotion, de ressenti qui lui permet aujourd'hui d'être un véritable confident pour beaucoup de propriétaires.

Selon les pays et les cultures, on élève le chien pour sa viande ou sa peau comme n'importe quel autre bétail, ou à l'inverse on l'humanise tant qu'on le couche sur un testament ou qu'il repose dans des cimetières.
Que représente réellement le chien pour l'homme dans nos sociétés, et est-ce que le chien a tant à gagner à vivre à ses côtés ?
Plus les mégalopoles se développent, plus la société se déshumanise, et plus le chien devient un membre de la famille, voire le seul compagnon de l'humain !
Dans nos vies hyper individualistes, l'animal a pris une place qui peut parfois sembler démesurée. Quand il n'est question que de compétitivité, de rendement et de réussite, le chien offre une bulle de sérénité, une sécurité de ne pas se voir trahi.
L'animal câlin, l'animal secours, l'animal recours ultime à la solitude, devient le seul être digne d'une confiance qu'on ne place plus dans l'humain.

L'amour et l'amitié sont devenus des actes de consommation, on se rencontre, on se trahit on se quitte, le tout parfois à une vitesse vertigineuse alors que le chien regarde son maître avec un amour infini, quelles que soient les conditions de vie qu'il lui impose...
Et pourtant ...
Le chien est lui aussi un bien de consommation! On l'achète sur un coup de tête, on voudrait qu'il s'adapte à notre mode de vie, on ne se remet pas en question quand il fait des bêtises et finalement on s'en sépare parce qu'il y a des contraintes …
Et quand on en prend vraiment soin, ce n'est encore pas forcément pour les bonnes raisons ! On le toilette pour parader avec, mais c'est bien l'homme qui veut être admiré à travers son chien ! Ce dernier sert alors de faire valoir. L'homme reporte ses problèmes d'égo sur son chien. C'est édifiant d'observer le choix des races en fonction des personnalités. On ne compte plus les petits, les teigneux peu courageux qui vont s'afficher derrière un grand chien avec la bouche pleine de grandes dents, totalement asocial... A l'inverse, on assiste à une montée en puissance de races miniatures que l'on peut bichonner à souhait en comblant ainsi les envies de jouer à la poupée. Et bien sûr l'industrie surfe sur une vague génératrice de bien des profits.

Est-il nécessaire d'évoquer les chiens de combats, sélectionnés pour leur force de mâchoires au millimètre carré, faisant ressortir toute la sauvagerie de l'homme souvent désocialisé ?
Et cet ego déplacé est aussi flagrant dans le monde des expositions canines … Le ridicule est poussé à son paroxysme, avec des races hyper-typées qui n'ont plus grand chose à voir avec leurs ancêtres, brossées encore et encore, ou des maîtres qui accordent leur tenue vestimentaire au look de leur animal ! Et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg ! Les relations humaines autour des rings sont parfois empreintes de jalousie ou autre mesquinerie sans commune mesure avec l'enjeu officiel ! Car pour certains, ce n'est pas le chien, mais bien le maître qui se sent jugé, primé ou déchu comme si son honneur en dépendait…

Il en va de même pour les compétitions sportives style agility, on est bien loin du simple plaisir de partager une activité ludique avec son animal...
Je ne veux évidement pas dire qu'il ne faut pas de races, Elles ont été créées pour adapter au mieux le chien par rapport à un besoin précis, et la diversité existante permet à chacun de trouver le compagnon idéal. Qui dit race, dit standard, donc jugement pour évaluer la conformité du chien par rapport à celui-ci. Et les expositions permettent aussi les rencontres de passionnés ! Ce sont les dérives et les excès qui sont condamnables ! On a fait du chien une véritable marchandise que l'on peut choisir dans un catalogue avec des fiches techniques, comme on le ferait pour une voiture ! Sur la description d'une race, on va trouver « chien d'appartement » ou « idéal avec les enfants » ou « silencieux », oubliant au passage que ce sont avant tout des chiens, des êtres vivants ayant chacun leur personnalité, avec des besoins spécifiques et un caractère propre. On dénature le chien afin qu'il s'intègre dans la place que l'homme lui octroie. Et tant pis pour lui s'il n'y rentre pas ...
Et l'amour dans tout ça ? Il ne fait aucune doute que l'homme aime son chien. Mais à trop aimer on aime souvent mal. Parce qu'il l'aime, l'homme veut lui fournir une vie qui correspond à sa conception du bonheur. Il transpose ses désirs et fait de son chien son double, jusqu'à faire apparaître des pathologies humaines. On ne compte plus les chiens obèses dormant 23/24 sur le canapé, et souffrant de diabète, calculs rénaux et autres problèmes d'arthrose...

On trouve tous les accessoires possibles et imaginables (ou pas) pour encourager cette folie, maquillage, prêt à porter, hôtel … Il est évident que certaines races ne peuvent se passer de couverture par temps froid, parce qu'on les a génétiquement « dé-poilées », mais qu'en est-il des manteaux dont on affuble les chiens de montagne ou les couvertures réfrigérantes sur des chiens issus de pays chaud ???

On a fait de son chien le dernier, ou le seul, enfant de la famille ( et les termes qu'on emploie à son égard sont frappant : mon bébé, ma fille …), on lui demande d'être sage et poli et on s'insurge quand il se roule dans la boue, renifle les fesses de ses congénères ou rentre dans la maison en mettant des traces partout, bref quand il vit sa vie... de chien ! En voulant le faire à notre image, on l'a privé de ses repères, et on ne compte plus aujourd'hui les chiens névrosés, hyper anxieux, phobiques, destructeurs et j'en passe !

Et le chien gagne quoi dans tout ça ? Le gîte et le couvert ? C'est certain, de sa collaboration avec l'homme le chien a gagné la sécurité. Il n'a plus à s'inquiéter du gibier à trouver ni du terrier où passer la nuit. Logiquement, il devrait donc avoir gagné aussi en longévité. Ses moindres bobos sont soignés, la médecine vétérinaire est à la pointe de la recherche et l'on sait prendre en compte la souffrance animale (même si la route est encore longue pour certains...) Pour autant les dérives sont énormes. Certes le bon vieux croisé est relativement épargné , mais à vouloir créer des races sans cesse plus typées, on a souvent joué à l'apprenti sorcier … Certaines races aujourd'hui sont tellement minuscules que beaucoup de bébés d'à peine quelques dizaines de grammes ne survivent pas, les chiens géants ont une espérance de vie qui atteint péniblement les 8/9 ans, certains ne peuvent se reproduire naturellement, ni mettre bas sans césarienne … Sans parler des faces trop plates, des dos trop longs des hanches trop descendues qui promettent à ces pauvres bêtes de la souffrance et des problèmes de santé tout au long de leur vie, pour sacrifier à la vanité humaine...

Et malgré tout cela, le chien continue d'essayer de s'adapter à l'humain, lui voue un amour indéfectible et porte sur lui un regard tellement chargé d'abandon et de reconnaissance …
Alors il est peut être largement temps de descendre de notre piédestal, de revenir à un peu plus d'humanité, ou plutôt non, de laisser parler notre bon sens primitif et d'offrir à nos compagnons une vie d'amour dans le respect de ce qu'ils sont, tout simplement.